Juste la fin du monde
de jean-luc lagarce
TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE, SEULS LES PRÉNOMS ONT ÉTÉ CHANGÉS © LES SOLITAIRES INTEMPESTIFS, 2007
Comme tous les vendredis, la famille s’est réunie. A l’extérieur, on entend les voix des manifestants du mouvement populaire opposé au gouvernement. Alors que la répression s’intensifie chaque semaine, le régime menace de représailles toute personne prônant la transition et le changement. Pourtant, depuis plus d’un an, la famille n’a de cesse de croire au changement, à la fin d’un monde et le début d’un nouveau, celui d’une vraie démocratie, de la paix et du droit à la différence.
Ce vendredi s’annonce comme tous les autres dans les rues d’Alger : la place de la Grande Poste est devenue le lieu de départ des manifestations de tout un peuple et de sa jeunesse restée sur leur terre, combative, pacifiste et moteur de l’Algérie de demain.
Ce vendredi, pourtant, n’est pas comme les autres pour la famille. Ce matin, toute la famille est à la fois tendue et heureuse à l’idée de retrouver Lounès, le fils et frère aîné, qui s'est installé à Paris il y a 12 ans déjà. Lounès est parti seul, laissant les siens à Alger, traversant la Méditerranée plein d’espoir de trouver en France ce que son pays ne pouvait lui offrir. Pour Lounès, c’était la France qui allait le sauver, et lui permettre d’être lui, d’écrire pour le théâtre et de se réaliser pleinement dans sa vie d’homme. Pour sa famille, et surtout pour son frère cadet, Hakim, c’était au contraire à lui de soutenir les siens en restant, en se battant.
Ce Vendredi, à Midi, un avion de la compagnie Air France atterrit sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumédiène après seulement 2h de vol. Si près des siens et pourtant si loin, Lounès tient pour seul bagage un petit sac à dos. Il est venu annoncer aux siens sa mort prochaine...